Chaos et ordres

de la noise

 

à l’écoute des formes émergentes

 

Catherine Guesde

Université Paris 8 • Instants Chavirés • Centre d'art Synesthésie MMAINTENANT • ∏Node

"Je voulais vivre le chaos.

 

Je ne voulais pas simplement chanter à propos du chaos, mais vivre le chaos. (…) Tout le monde participait, et la violence était contre quelque chose, jamais contre quelqu'un.

On chorégraphiait le chaos…"

Entretien avec GX Jupitter-Larsen 

Hanatarashi - Bulldozer gig

- subjective/psychoacoustique : son indésirable

- acoustique : vibration acoustique erratique, intermittente ou statistiquement aléatoire

- théorie de la communication : ce qui perturbe le signal

Définitions du bruit 

Luigi Russolo - intonarumori

Incapacitants, "For GX", 2010

Text

Noise music in its most uncompromising form is different from other forms of resistance musics such as punk. New Wave, hardcore, or dark metal. In these musics, the voice, the logos as truth, has constituted the ideal point of a politicised voice by claiming to speak the truth of its audience's situation. 

Noise has no such claims; it is a 
radical deconstruction of the status of artist, audience, and music. 

It is 'the grain of the voice', a refusal of representation, a refusal of identity. 

 

Csaba Toth, "Noise Theory" in Noise and Capitalism

 

 

“The disruptiveness of this ‘form’ or formless as Bataille would have it, through volume, unpredictability or relentless change, makes a settling or dwelling difficult. 
This ecstatic non-music continually structures and destructures both the listening subject and music or, in another theoretical language, it deterritorializes and reterritorializes them.”


Paul Hegarty, Noise/Music, A History, p. 139   

Méthode

- Questionnaires (99 participant·e·s)

- Entretiens longs (1-3h) 

- Recherche d'une masse critique avec un "discours"

- Recherche de modèles esthétiques (et non sociologie des auditeurs & auditrices)

«  Dès qu'il est possible en revanche de parler d'un ensemble significatif de remarques (…) qu'on nommera un discours, au sens où l'entendait Michel Foucault : "Entre ‘ce qui se dit’ et ‘les discours’, je fais une différence. ‘Ce qui se dit’, c'est un ensemble d'énoncés prononcés absolument n'importe où(…).‘Le discours’, parmi tout ce qui se dit, c'est l'ensemble des énoncés qui peuvent entrer à l'intérieur d'une certaine systématicité et entraîner avec eux un certain nombre d'effets de pouvoir réguliers." 
Au critère quantitatif (la masse critique) s'ajoute donc celui d'une certaine cohérence – plusieurs auteurs, sans se référer nécessairement les uns aux autres, utiliseront à un moment des catégories et des termes comparables –, ainsi que celui des effets concrets : un ensemble discursif cohérent devient alors actif. »
Martin Kaltenecker, L’Oreille Divisée, 2011

I. Informe, difforme, chaotique : refus de l'ordre

 

II. Stratégies d'écoute et aspects de la noise

 

III. Des formes émergentes ?

I. Informe, difforme, chaotique

 

1. le refus de la maîtrise

 

 

Bidouiller, détourner, bricoler

« au sein de l’éventail des gestes instrumentaux relatifs à l’expérimentation bruitiste – bidouiller, détourner, bricoler, une terminologie qui a d’ailleurs pour particularité de s’appliquer aux pratiques de jeu autant qu’à la conception personnalisée du dispositif instrumental – se trouve ainsi une forme de hacking non pas pris au sens plus restreint de « piratage » apparenté au monde informatique, mais redéfini à l’aune des pratiques DIY dans une optique bricoleuse, low-tech et imprégnée des principes de recyclage et d’apprentissage autonome. »

Sarah Benhaïm, « DIY et hacking dans la musique noise. Une expérimentation bricoleuse du dispositif de jeu » in Volume ! La revue des musiques populaires, n° 16-1, 2018

 

“In the process of learning to perform, a musician links the creation of sound to bodily self-control and internalized musical knowledge. 
Noisicians deliberately attempt to keep themselves from naturalizing this instrumental self-expression.”


“Noisicians are deeply involved in the search for a sound-producing environment that is neither determined by a distinct composer nor fully controlled by the performer.”
David Novak, Japanoise. Music at the Edge of Circulation, Duke University Press, 2013, p. 159 & 156


2. Stratégies de décomposition 

 cut-up, collage, juxtaposition

John Wiese, Escaped Language, 2017

La lutte

“Noisicians, in contrast, use their electronics to embody the self-destructive imbalances of positive feedback. Personal expression is transformed in conflict with the system (…)  This is not a relationship that creates a balanced sound environment. On the contrary, Noisicians appear to be in the midst of battle with their machines.”



David Novak, Ibid.

Laisser être le matériau

no ideas
no changes
no development
no entertainment
and no remorse 

II. Stratégies d'écoute

 

1. Immersions, dissolutions, résistances

 

« Le but, à mon avis, c'est de se perdre dans l'ambiance bruyante, de se sentir comme si on flottait dans un environnement liquide difforme, inconnu, et troublant. »
« Si les sensations n’ont pas leur intensité la plus grande, il nous est possible d’isoler des objets précis sur le champ de la totalité, dès lors nous ne connaissons clairement et distinctement, mais la présence de la totalité nous échappe. Le sentiment de la totalité demande une extrême intensité des sensations les plus vagues, qui ne nous révèlent rien de clair ni de distinct. »


Georges Bataille, Histoire de l’érotisme, in La Part Maudite, essai d’économie générale, Tome 2, Paris, Gallimard, 1976, p. 116.
*se confronter à la musique, à la manière d'un combat peut être une approche intéressante, dont on ne ressort en général indemne. C'est vouloir un avant et un après.*


*ça donne l’impression de devoir mériter ce que tu écoutes. Il y a le côté initiatique j’imagine qui fait partie du plaisir. Et puis le fait d’éprouver quelque chose quand tu écoutes, au-delà de la simple émotion.*

2. Le corps-oreille

 

« Beaucoup de gens viennent à des concerts pour faire cette expérience pour être dans l’événement live et physique et pour en faire une expérience de première main. Cette écoute a moins à faire avec les oreilles qu’avec l’estomac, les tripes, la poitrine.» (GX Jupitter-Larsen)
*Je ne supporte pas bien les sons très aigus : ça me vrille la tête et les dents*

*il m'est déjà arrivé d'assister à un concert de Phroq assis sur le caisson de basse et l'écoute fut principalement tactile…*

*c'est comme une oreille géante, le corps vibre comme un tympan et ça crée des sensations qui peuvent être agréable ou non, et ça peut même chatouiller avec certaines fréquences*

3. Strates & ondulations

« Quand vous écoutez de la noise, avez-vous une perception de la continuité de la composition ? »

 

*Oui bien sûr*

*Comme pour toute autre production musicale*

*Qu'est-ce que le noise aurait de différent d'une autre musique ?*

 

*le relief, la mise espace, les matières*

*profondeur du son ; strates sonores*

*la richesse du son, les harmoniques, les différentes couches etc.*

*richesse spectrale*

*le maintien des subtilités au sein d’un son rude et abrasif*

*chacun se fixe sur une des grandes ondulations présentes dans le son. Ces ondulations sont multiples et dépendent de la fréquence sur laquelle on se fixe. 

Donc la même musique peut sembler en même temps extrêmement ample, lente, aérienne et générer un mouvement qui l'accompagne, mou et serein, ou encore paraître pleine de micro-événements fulgurants qui suscite une impression d'extrême rapidité, d'incontrôlabilité.*

III. Des formes émergentes ?

 

Ouvrages et articles consacrés à la noise

Attali, Jacques, Bruits, Ed. Fayard, 1977
Atton, Chris, « Fan Discourse and the Construction of Noise Music as a Genre », in The Journal of Popular Music Studies, Vol. 23, Issue 3, septembre 2011, pp. 324-342
Benhaïm, Sarah, « L'expérimentation noise : en()quête de liberté » in Revue Tacet n°2, « L’expérimentation en question », éditions Météo, 2013
Benhaïm, Sarah, « Entre écoute réflexive, immersion sensuelle et confrontation. Les amateurs à l’épreuve de la musique noise », in L’Autre musique Revue n°4, « Bruits », 2016, disponible en ligne : http://lautremusique.net
Brassier, Ray, « Genre is Obsolete » in M. Attiarch and A. Iles (eds.) Noise and Capitalism, Donostia, San Sebastian: Arteleku Audiolab, 2009
Castanet, Pierre-Albert, Tout est bruit pour qui a peur. Pour une histoire sociale du son sale, Ed. Michel de Maule, 1999
–, Quand le sonore cherche noise : pour une philosophie du bruit, Ed. Michel de Maule, 2008
Cox, Christoph dir., Audio Culture: Readings in Modern Music, Continuum, 2004
Demers, Joanna, Listening through the Noise: The Aesthetics of Experimental Electronic Music, Oxford University Press, 2002


Guesde, Catherine et Nadrigny, Pauline, « L'écoute de la harsh noise : de la physiologie à l'esthétique », in Clément Canonne (dir.), Perspectives philosophiques sur les musiques actuelles, Éditions Delatour, 2017
Hegarty, Paul, Full With Noise: Theory and Japanese Noise Music, CTheory, Arthur and Marilouise Kroker, Editors, 2001, disponible en ligne : www.ctheory.net/articles.aspx?id=314
Hegarty, Paul, Noise/Music: a History, Continuum International Publishing Group Ltd., 2007
Hegarty, Paul, “Bataille/Body/Noise: Notes Toward a Techno-Erotics”, in Merzbook: The Pleasuredome of Noise, Woodward, Brett (dir.), Ed. Extreme, 1999
Cecile Malaspina, « The noise paradigm », in Reverberations, The Philosophy, æsthetics and politics of noise, Michael Goddard, Benjamin Halligan, Paul Hegarty (ed.), Continuum, 2012
David Novak, Japanoise: Music at the Edge of Circulation, Duke University Press, 2013
Sangild, Torben, The Aesthetics of Noise, Copenhagen, Datanom, 2002 (publication en ligne : www.datanom.com/noise)
Smith, Nicholas J., « Why Hardcore Goes Soft: Adorno, Japanese Noise, and the Extirpation of Dissonance », Cultural Logic, Volume 4, Number 2, Spring, 2001, disponible en ligne : http://clogic.eserver.org/4-2/smith.html
Thompson, Marie, « Music or Cyborgs: the Affect and Ethics of Noise Music », in Reverberations, The Philosophy, Æsthetics and Politics of Noise, Michael Goddard, Benjamin Halligan, Paul Hegarty (ed.), Continuum, 2012
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